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Elephant people propose un théâtre organique dont la forme, à haute technicité, métaphorise comme les automates et les machines du XVIIIè siècle, l’organicité du corps humain et plus largement, du vivant. Sous la peau, les rouages d’une vie autonome et qui n’a pas de centre, donc d’identité fixe.  Ce que l’observation apprend, c’est qu’un sujet d’aspect difforme et parfois infra humain peut vivre ; le monde organique continue de s’assembler et de fonctionner malgré des dissemblances dans l’apparence humaine. Il y a une autonomie du vivant, une impuissance de la volonté humaine qui suggère une possession, une transe, un pathos de la vie. Le monde du corps échappe relativement, obscurément, et de cette faille entre la définition de soi et l’identité organique, qui se décline entre individu et famille, entre singulier et collectif, de cette déchirure jaillit l’angoisse de l’horreur et de la dégénérescence, de la mort, d’un excès qui nous emporte et nous rappelle notre appartenance à un cosmos démesuré, de la taille de l’univers. Les moyens sonores, lumineux et vidéos de mise en scène traduisent ce débord et ce vertige. Ils mettent en scène un lyrisme, un indicible dans la parole, du pathétique et de la douleur, du cri de l’homme prisonnier de l’infini. Car c’est de cela aussi qu’il est question, d’une pathologie de l’humain, au-delà même d’un enfermement claustrophobe dans des représentations qui sont nécessaires pour définir un espace habitable.

Sous cet angle, Elephant people est plus qu’un barnum, qu’une baraque de foire, ou un grand poème surréaliste kitsch ; il n’en a que les appâts séducteurs, piégeant notre goût éventuel pour le grotesque. Les prothèses de l’homme à tête de lion ou des frères siamois ne font illusion qu’un premier temps, et très vite nous font sentir que la première question qui nous vient de savoir si c’est possible, cache une seconde question plus inquiète de nous demander si nous ressemblons à cela. Sifan Shao qui joue le siamois est avant tout d’une grande beauté séductrice dans sa présence mystérieuse et comme inatteignable, et il peut faire l’effet d’une monstruosité. Si Renaud Cojo semble alors nous rassurer en dénonçant son théâtre comme un trucage (non, ça n’existe pas vraiment, les monstres), il rend alors perceptible la seconde question, sur l’identité, plus inquiétante et indicible, qui suggère que ce qui est désigné de monstrueux est ce qui est unique, donc qui n’est pas représenté. La grosse ficelle de la critique de la télévision comme fabricant du faux sensationnel paraît alors trop évidente pour être le cœur du sujet. La présence de Vincent Mc Doom montrant au passage le ressort, que ce soit à la télévision ou ailleurs, des productions documentaires ou réalistes (un élément réel fait croire à la réalité de l’ensemble où il est produit), serait d’ailleurs contradictoire puisqu’il vit de la télévision et que dans la conversation, il dit volontiers lui devoir beaucoup, notamment d’avoir trouvé à être regardé comme un autre. Renaud Cojo n’a certainement pas pour seul objet cette critique consensuelle du mensonge de la télévision ou de toute prétention à représenter la réalité.

Singulier et politique. Évidemment, le monstre n’est pas seulement une création imaginaire d’une fantasmagorie inconsciente. Il existe de réels êtres difformes et inclassables. Mais le succès, le drame des monstres et l’inflammation publique pour leur cause, y renvoient directement, comme à des phobies enfouies. Le cas de l’hermaphrodite, joué par Vincent Mc Doom, est révélateur. La passion publique dans presque toutes les cultures, contre l’homosexualité et les sexualités différentes, montre aussi comment l’identité se forme par exclusion des dissemblances et non pas connaissance de soi. La plupart des sociétés aujourd’hui ne demandent pas aux individus ce qu’ils sont, mais de chercher l’intrus et de le désigner, et d’ainsi se définir. Le concept de normalité sert de référence à une définition phobique de l’identité. Sous des sociétés très normatives, tout un bouillon de culture de réelles monstruosités politiques ou sociales mijotent, qui font droit à l’ostracisme, à la délation, à la mise au ban, à la vindicte et à la diffamation.

Elephant people est aussi une pièce sur l’identité, sur le singulier et le commun, avec une portée politique. Le titre, en référence au film de David Lynch Elephant man sorti en 1980, indique ce glissement de la curiosité pour le singulier à l’intérêt pour la pluralité. Un ensemble plural n’est pas composé d’éléments identiques ; aussi une communauté politique est d’abord un assemblage de singularités ou une assemblée qui a des procédures pour accueillir et reconnaître la différence. Le personnage de Merrick qui dans le film de Lynch est celui de l’homme monstrueux mais enrichi d’une humanité supérieure, selon la rhétorique manichéenne propre au cinéma américain, devient celui du présentateur télé monstrueux dans son exploitation commerçante de la différence. En brouillant les frontières entre l’ordinaire et l’extraordinaire, entre le normal et l’anormal, entre le repoussant et l’attirant, Renaud Cojo éclaire l’objet monstrueux sous ses innombrables facettes pour faire réverbérer nos paysages ordinaires, de leur étrangeté. »

Mari - Mai Corbel (Mouvement, Février 2008)

 

 Cet Elephant People, on peut l’avaler , à la louche, comme une satire de ces freak shows des temps modernes, pudiquement rebaptisés talk-shows, qui se repaissent de monstruosités humaines . Le parallèle est imparable, la mise en scène, irréprochable. Tout est là, et même plus qu’il n’en faut. En arrière-goût, ce millénaire appétit humain pour la mise en scène des « monstres » aux frontières de la norme. »

Cathy Blisson (Télérama, Mars 2008)

 

Ce qui frappe aussi, par delà la prestation singulière de ses comédiens, c'est la bande son de The Married Monk qui accompagne tout du long sans faiblir et soutient la mise en scène de son pouvoir d'évocation. Malgré la difformité, la rage et la douleur, l'harmonie se fait grâce aux spoken words de Christian Quermalet et à la musique de ses complices, tantôt très rock et pleine d'énergie, tantôt presque ambiante, vibrant des échos analogique du clavier d'Etienne Jaumet, moitié du duo Zombie Zombie. Indéniablement la grande claque du Tilt Festival de cette année ! Respect. 

(Fluctuanet, Mars 2008)

 

La tension est constante et le déploiement de moyens impressionne. Une réussite. 

Jacques Corot (La Provence, Mars 2008)

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