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Il y a toujours un moment privilégié entre les gens qui se réunissent à l’occasion d’un dîner ou d’une fête familiale, où le fil tendu de la fraternisation se déroule autour des intimités comme une maille qui saute et laisse finalement apparaître les petits trous des chairs dévoilées. Ce petit moment précis, où l’alcool ou la satiété aidant, les êtres mettent au jour les épreuves photographiques des sensations intérieures et secrètes. Les uns ouvrent des tiroirs où l’on dissimulait jalousement une vieille lettre jaunie par le temps, les autres feront écouter religieusement l’instant précis de cette chanson rejaillie d’une nostalgie clandestine. Celui-là détrône du haut de son armoire un jouet ancien conservé intact dans son emballage poussiéreux. Elle, offrira quelques sourires amusés à ces visages disparus... Ce petit moment où les gestes empressés s’apparentent à une chorégraphie du désordre qui s’organise maladroitement autour des vestiges découverts, comme le chaos mystérieux des chambres d’enfants. Ici, c’est chacun son histoire...

 

« 22 Février 98, Honfleur. Déjà la recherche d'une origine, d'une précision. De retour d'une série de repérages à Caen pour l'exploitation de trois spectacles de la compagnie, Honfleur dont on m'avait conté les mérites. Honfleur, son bassin, son port, ses peintres. Un bout de France comme un morceau d'image d'Epinal dont on se rassasie alégrement lorsque une compagnie à la chance de "tourner" ou tout au mieux de voyager... Ce 22 Février, après avoir chargé le coffre de la voiture, louée pour l'occasion, des fleurons de la gastronomie locale (cidre, calva, poiré), je tombe sur une foire aux collectionneurs. La voiture garée, fermée à clefs, nous fonçons vers les Halles à Sel, négociant quelques images volées à la réputation de la cité radieuse. Dans l'antre s'étalent pêle-mêle, les Pin's dont personne ne veut plus entendre parler, les disques de l'inusable Johnny Halliday, les timbres transparents à force d'usure, les boîtes de camembert, les montres Swatch, les poupée barbantes, les porcelaines, les cartes posthumes et autres vis déformées... Des allées de venus- là pour occuper le temps et encombrer leurs espaces d'objets rapportés, totems dérisoires d'une mémoire à fabriquer. Des collectionneurs de collections. Et puis, sur une table, cet amas de planches éducatives datées des années soixante, à la sanguine ou au fusain. Soulevant l'une puis l'autre, des petits enfants agenouillés, un chien qui pourrait s'appeler Rex, une maman gentille, un docteur prévenant, une table de cuisine en formica, un paquet de farine Francine, mais surtout des envies naissantes. Sortir de cette matière endormie, des pistes de jeu, des tours déjoués, des bribes de bravoures ou des bavures à savourer. Construire notre théâtre sur ces impressions anciennes.  Remède à la mélancolie? Un chèque de trois cent quatre vingt francs, qui a dit que les rêves coûtaient chers? »

Quelques notes de mise en scène

 

Pas de gros décor, mais des objets rapportés, exhumés à la mémoire, juste posés ou rassemblés là, sur la scène du grand vide. Cela pourrait se passer sur un terrain de camping un soir d’été, ou bien dans la chaleur d’une cuisine à l’automne. Ils se réunissent encore une fois ces familiers, ils ont probablement bien mangé et bien bu. Cela va être l’heure des petites découvertes et des grands moments de vérité cachée... Et si ils commençaient par regarder de vieilles diapositives. Ces séances nocturnes où on se laisse aller facilement au commentaire...

La bricole improbable d'un "Barnum" de la désuétude, un puzzle dont on aurait oublié de ranger consciencieusement toutes les pièces. Des chaises pour se mettre debout afin de retrouver la sensation du vol des confitures, un sol encombré, des tiroirs ouverts, quelques vieux disques qu’on écoute accroupis. La mémoire du corps en bougerie, ces bougeries à l'équilibre incertain d'un corps qui se souvient de l'apprentissage de la droiture. Probablement des déséquilibres, au jeu des échelles les anamorphoses d'une mémoire déformante. Mouvements.

 Ici et là des morceaux non pas comme au "digest" ou "best of", mais dictés par les impulsions de l'enthousiasme d'un trésor redécouvert. Une anthropo-ethnologie d'un soi-lointain, d'un universel terni par la poussière du quotidien. Et si nous parlions de la famille comme en sociologie de "groupe", dont le terme nous éloigne de l'affectif ou du sensible. À l'horizon d'un nouveau millénaire et des contrats P.A.C.S, procéder à l'étude minutieuse et aventureuse comme des paléontologues grattant les strates de terres pour voir apparaître les angles obtus de la vieille "valeur républicaine", comme des os de travers.

Échanger la certitude du "je me souviens" de Perec, contre le probable ou les incertitudes de l'hésitation face au trouble imposé par le respect, l'éducation, ou plus vulgairement "le lien social"...

Et puis ces personnes ou acteurs, se racontant au passage"intimement", par épisodes ou bribes, laissant échapper ces petites choses si particulières qui font les décalages ou failles, qui font du théâtre des petits morceaux de vie.

 

              

Renaud Cojo

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