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« A l’origine de Pour Louis de Funès, il y a le texte Lettre aux acteurs que j’avais écrit parce que j’avais été chassé des répétitions par le metteur en scène de l’époque qui avait sans doute raison de me chasser... Je devais être... impossible...Il ne peut pas y avoir plusieurs autorités dans une troupe, c’est un des deux endroit où la monarchie existe toujours, l’autre étant l’Eglise...Le metteur en scène a un pouvoir extraordinaire... comme sur un bateau... On peut se griser du pouvoir que donne la mis en scène... Mais ce qui est beau, c’est que le théâtre n’est fait par personne, on ne sait pas par qui c’est fait... Je disais à André Marcon : « c’est moi qui ai écrit le texte, c’est toi qui le joues »... Mais il y a un moment où c’est le public qui fait le théâtre, complètement... Quelque chose qui dépasse les attributions, les personnalités, le travail de chacun, une circulation amoureuse, autre... qui se produit parfois. On peut alors sortir de la prison humaine, la prison de la personnalité. Et donc, chassé des répétitions, j’avais écrit ce Lettre aux acteurs, que je ne voulais pas du tout publier mais que j’avais distribué aux acteurs à la suite de la répétition pour protester... C’était très violent. Il me semblait que dans l’histoire du théâtre, il y avait quand même deux couples antagonistes, le couple metteur - en - scène - décorateur et le couple poète - acteur... Que c’était tantôt l’un, tantôt l’autre, dans une vision un peu schématique... Or, chaque fois qu’il y a retour au centre du théâtre, il faut retourner à l’acteur, c’est quand même le socle fondamental, la case vide fondamentale... Quand André Marcon m’a proposé de lire Lettre aux acteurs, à Avignon, je lui ai dit : - J’ai l’ai écrite il y a cinq ou six ans, maintenant j’ai un peu changé de pensée sur l’acteur, je vais t’écrire un nouveau Lettre aux acteurs. C’est devenu Pour Louis de Funès ... Alors que Lettre aux acteurs avait été écrit dans un sentiment d’exclusion, de dépit, de chagrin, Pour Louis de Funès, lui, était écrit dans l’amour d’André Marcon, de ce travail extraordinaire que j’avais observé au Théâtre de la Bastille tous les soirs...André était dans sa petite loge, et jusqu’aux derniers instants, j’étais dans la loge avec lui, comme avec un condamné à mort... Parce que les acteurs sont dans un drôle d’état avant d’entrer sur scène et hop, j’allais rejoindre ma place, j’essayais d’observer ce passage infranchissable entre les coulisses et la scène... Tous les soirs, je voulais essayer de VOIR quelque chose... Le texte est né de ça, c’était un « Pour André Marcon »... Pendant trente jours, j’assistais à toutes les représentations, je ne faisais rien d’autre que ça, j’étais incapable d’écrire deux mots, je voulais voir...Il se trouve qu’il y a longtemps, j’ai voulu faire une thèse sur Louis de Funès, je l’aimais beaucoup, et puis j’ai un peu oublié... Et un jour, André a fait un rêve à la suite duquel il m’a dit : « J’ai rêvé que tu écrivais pour Louis de Funès »... Et donc, le texte s’est transformé, j’ai fait de Louis de Funès une sorte de Zarathoustra, c’est devenu « Also spracht Louis de Funès », je l’ai fait parler...J’aime beaucoup Louis de Funès, mais le texte reste quand même très lié à une expérience de spectateur, auprès de Marcon, quand il jouait Le Monologue d’Adramelech au Théâtre de la Bastille. Il y a un article d’Alfred Jarry que j’adore et qui s’intitule « De l’inutilité du théâtre au théâtre ». Il suffit peut-être de se dire qu’il n’y a pas de théâtre à faire... Alors ça ira tout seul... Le travail de l’acteur n’est pas très différent du travail profond que peut faire le lecteur... Le lecteur est aussi un acteur, immobile, invisible... Si on lit des auteurs un peu forts, un peu alcoolisés, il y a un travail somatique de la lecture qui se fait, un partage, un souffle avec celui qu’on lit... Si on lit Bossuet, on respire avec lui, on est obligé de jouer, de nager la même nage que lui... Il y a un contact respiratoire profond dans le lecture, et il n’y a pas pour moi, de ce monde du théâtre où il y aurait des choses à montrer, il n’y a pas de frontière entre le dit et le théâtre...Pour moi tout doit venir du contacte profond entre l’acteur et le texte, l’acteur est obligé de somatiser le texte, de descendre très profondément pour le retenir... De faire un travail de mémoire qui est un travail d’écoute... D’entendre vraiment toute la philologie, toute la; musique du texte dans son corps... D’avoir une connaissance extraordinaire du texte, plus que n’importe quel universitaire, et même plus que l’auteur. Je pense qu’il y a une vérité du texte, il n’y a pas trente-six manières de jouer Le Malade Imaginaire ou Labiche... Il y a dedans une vérité rythmique profonde, on est AVEC ou pas. Le texte n’est pas un prétexte à déguisement. Les acteurs expérimentent la sortie du corps, la dépossession... Il y a quelque chose de l’ordre du mystère... L’idée qu’il y a une vérité touchée, il y a ceux qui touchent et ceux qui ne touchent pas. Ceux qui ont la main dedans. L’acteur est alors personne, il est un masque vide, il est en retrait par rapport à l’homme. Le théâtre est un endroit extraordinaire où s’insurger contre les représentations de la figure humaine, où « s’insoumettre » à la figure humaine. »

     

Valère Novarina

 

 

Notes de mise en scène

 

L’acteur entre sur le seuil. Il se tient debout, tout droit. Et comme « il retire tout le théâtre de lui en entrant », c’est à la parole qu’il confie le drame de tout ce qui ne sera pas joué. Celui - là pourrait bien flotter dans l’espace ou marcher sur les eaux tant la scène est à l’extérieur de lui. Les repères tracés en croix sur le plancher sont les stigmates de ce qu’il reste, les preuves de la répétition. Mieux qu’un décor, un chantier ouvert sur la parole. Ici, c’est la parole qui construit l’idée de représentation, la matière de ce qui est donné à voir. Pas une scène vide, non, mais quelque chose prêt à recevoir en cas de chute. Cet espace ne montre rien d’autre de ce qu’il est déjà. Une scène de théâtre. Lui, l’acteur, parfois au milieu, parfois non. Il fait comme il a déjà fait. Il va comme il est déjà allé... Préméditation exacte des événements. Forme définitive et immuable de tout acte interprété. Ne pas faire comme s’il s’agissait de la première fois. La mâchoire transfigurée par la parle de Novarina, elle - même « lancée comme des cailloux », est un douloureux accomplissement physique pour celui qui articule. Le spectacle est ailleurs, un vague souvenir. Souvenir de ces millions de pièces jouées et rejouées, souvenir d’un certain Louis de Funès. Ce de Funès, c’est l’acteur de souffrance et de référence, non pas qu’il constitue lui - même un idéal, mais tel qu’imaginé, inventé avec le nom d’un autre. Il incarne l’esprit d’un théâtre qui se retire du monde; déjà mort, encore vivant. S’abandonner par réflexes spasmodiques à des tentatives de représentation comme on procède à l’exhumation du corps pourrissant afin de confirmer l’expertise. La trace du costume, celui du gendarme Cruchot... Exagérément vaste. Ne dit - on pas dans certaines théories que c’est le personnage qui étouffe l’acteur? Ou plus simplement, ce De Funès n’était t’il pas un Demi - Dieu, dont on brandirait l’étoffe majestueuse telle une relique improbable, justement inventée pour cette célébration de théâtre? Des lumières pas justes mais juste de la lumière là où les yeux entendent. Idéalement, la lumière regarde aussi bien au dedans et au - delà de la scène. Les mondes ne sont pas délimités. C’est jusqu’où va la parole que la scène s’arrête. Des musiquettes ou parlottes filmographiques, de ce monde qui s’éloigne. Subconscientes. On pourrait même se prendre au jeu de celui qui reconnaît et qui se reconnaît grâce à cette mémoire en alerte, fabriquée par les effets de la représentation. A ce moment là, être une fois encore, présent.

 

 Renaud Cojo

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