What in the W(orld)? est l’expérience d’un théâtre extrême, la représentation événementielle d’une suite de... avec événements. Dans un espace scénique à créer où le jeu, le brouillage sonore et la virtualité des images se confrontent, nous offrons les éléments spectaculaires d’une fiction réelle. Nous ne racontons pas une histoire, nous dressons le bilan de toutes les histoires du monde à travers l’attente, mère de toutes nos angoisses. What in the W(orld)? est une fable jouée pour huit intervenants, un écran de contrôle, un caisson métallique et quelques roses. Pas plus.
« Je voudrais raconter l’épopée héroïque d’un groupe de vivants face à la quotidienneté et la fulgurance des événements qui nous précipitent inévitablement vers la<le>... Je voudrais raconter « notre besoin de consolation ». Je voudrais sous la forme du constat, établir notre relation au monde, auquel nous n’appartenons pas et qui demeure à l’extérieur de nous. Je voudrais raconter ce détachement : « L’homme prend au monde des impressions et rend à l’esprit l’expression du monde ».
Renaud Cojo
« La troisième guerre mondiale a éclaté, peut-être seulement dans les têtes ou sur les écrans. Sur scène, le chaos, ou plutôt un dépotoir d’où émerge un carré de roses, un écran géant et une sorte de bunker lisse et brillant. Rose, une jeune fille, façon gamine en tresses, robe lycra et souliers vernis, remplis le bunker de bouteilles vides, comme au rayon retour du supermarché. Sur l’écran les images défilent : cimetières, fragments de combats, et par intermittence l’image de deux hommes. Peu à peu on comprend qu’ils sont filmés en direct depuis l’intérieur du bunker où ils se terrent, et livrent probablement malgré eux, leurs constats. Rose scande une longue liste de héros, d’Edith Piaf à Pierre Beregovoy, de Charles de Gaulle à Kurt Cobain; le bunker crache des rebuts de toutes sortes, sur l’écran un chasseur - bombardier fait sauter inlassablement le même tanker. Les deux hommes au crâne rasé parlent; d’avant : du temps où l’on faisait du vélo, où les vaches broutaient dans les près, où les églises n’étaient pas des abri anti atomiques. “La caméra est devenue notre meilleur inspecteur”, déclarait John F. Kennedy peu avant d’être abattu dans une rue de Dallas... Effectivement, elle nous permet aujourd’hui d’assister, en direct ou en différé, à certains événements politiques, à certains phénomènes optiques, phénomènes d’effraction où la Cité se laisse voir de part en part, phénomène de diffraction aussi où son image se répercute par delà l’atmosphère, jusqu’aux confins de l’espace, et ceci, au moment où l’endoscope et le scanner donnent à voir les confins de la vie. Cette surexposition attire notre attention dans la mesure où elle définit l’image d’un monde sans antipode, sans face cachée, où l’opacité n’est plus qu’un “interlude” momentané. Observons cependant que l’illusion proxémique ne dure guère, là où la polis avait inauguré jadis un théâtre politique, avec l’agora, le forum, il ne reste plus aujourd’hui qu’un écran cathodique où s’agitent les ombres, les spectres d’une communauté en voie de disparition où le cinématisme propage la dernière apparence d’urbanisme, la dernière image d’un urbanisme sans urbanité où le tact et le contact laissent place à l’impact télévisuel : non pas uniquement la “téléconférence” qui permet de conférer à distance, avec le progrès que suppose l’absence de déplacement, mais aussi bien, la “télé - négociation” qui permet, à l’inverse, de prendre ses distances, de discuter sans rencontrer ses partenaires sociaux là où existe pourtant une proximité physique immédiate, un peu comme ces maniaques du téléphone pour lesquels le combiné favorise l’écart de langage, l’anonymat d’une agressivité télécommandée.
Oui, on nous a médiatisé. Grossièrement dit, ce qu’on vit, c’est du tout cuit, du réchauffé même. Des idées toutes faites prennent régulièrement le chemin du micro-onde, accompagnées de suggestions de produits à consommer parait-il de toute urgence. Elles sont portées à température d’absorption comme s’il s’agissait d’un substitut du lait maternel ou encore du plat de lentilles biblique. Quelque chose entre la nourriture et la parole, mais pré-mâché, comme un steak un peu coriace trafiqué à l’attendrisseur, donc proprement dénaturé. Pour moi le sujet tourne à l’obsession. J’aime à dire qu’en parlant de Ouvre le chien de Bordeaux et de son dernier rejeton “What in the w(orld)? Un super produit au sens littéral du terme- Je réenfourche mes dadas privilégiés, la démagogie socio-cul, la télé envahissante, les mots qui ne veulent plus rien dire à force d’avoir été utilisés vénalement, bref la confusion des valeurs. Renaud Cojo et sa bande d’allumés observent une nana sublime, le prototype de la minette sous influence, souriant pêle-mêle à tous les produits terrestres, au champ de roses rouges comme aux déchets ménagers ou nucléaires, à tout ce qui se regarde, s’élimine, se boit, se mange fast food. Elle ânonne en petites chaussettes blanches et mini-jupe, la ribambelle des noms célèbres de notre demi siècle, mais dans le plus grand désordre comme si tout se valait et parlait de la même chose. Elle débite aussi d’une voix de mooniste ou de scientologue l’abominable discours lénifiant de Balladur sur le prétendu bonheur de la jeunesse française. Et comme nous elle regarde la télé, répercutée pour l’occasion sur grand écran où il est parlé de la vie comme d’un match de football avec tous les stéréotypes du langage que de très belles images sacralisent car, comme nous le savons, même le talent peut pervertir la pensée, aider à la confusion. Nous avons affaire à une petite superproduction tonique en forme de fresque qui dénonce les idées creuses et la robotisation du discours et de l’iconographie. Ah oui, marrante de surcroît! Porteuse d’optimisme par la forme adoptée et nul n’ignore que la forme c’est le fond... Si l’humanisme chagrin ne convainc personne, une théâtralisation musclée du danger ordinaire de notre civilisation sur le mode d’un Rocky Horror Show peut nous amener à une réflexion, précisément parce qu’elle n’oublie pas de nous divertir et que l’humour enraye les catastrophes ou les met à leur place. Bon, qu’ajouter à ceci? J’oubliais les deux vieux gamins footballeurs chauves, héros échappés du kikker de nos bistrots, jouant à cache-cache autour de l’abri anti - atomique. J’oubliais Chazam chantant le rock nouveau dans sa cabine de pilotage aux innombrables ressources électroniques, produisant un son luxueux qui auréole tout le spectacle. Cette fois Renaud Cojo a vu grand. Il a donné dans une fresque d’une brûlante actualité, il s’est fait pamphlétaire et peintre avec l’aide d’Isabelle Fourcade, comédienne et aussi architecte-scénographe en herbe. On a décidément tous les talents à Ouvre le Chien; les Taxidermistes ont quitté le pittoresque onirique pour envahir les sujets de société et le show s’offre ici la totale. »
Jo Dekmine, Directeur du Théâtre 140 - Bruxelles (1995)