La Peur
Si pour certains elle porte mille noms, d’autres préfèrent penser qu’elle n’en porte pas. Les uns la domptent et la dominent… D’autres se laissent envahir, paralysés jusqu’à en perdre tous leurs moyens. Difficile d’aborder un thème comme celui de la peur…surtout dans ce monde très machiste du noble art. Le sujet est même tabou il faut bien le dire, parce que, non, un boxeur par définition ne doit jamais avoir peur…
Evidemment, l’homme qu’il est peut ressentir certaines appréhensions, mais jamais, jamais au grand jamais le pugiliste n’avouera éprouver ce que le commun des mortel appelle crainte, effroi, frayeur, terreur, trac ou encore trouille. Ici, avouer, reconnaître sa peur c’est risquer de tomber sous les quolibets, les railleries… Oser en parler c’est déclencher des réflexes naturels d’autodéfenses, qui se traduisent par un mutisme total. Alors me direz-vous ? Et bien parlons-en justement.
De toute ma vie de fan, j’ai cru desceller trois formes de peur dans ce monde là. Trois moments clé lors desquels elle est susceptible de prendre le boxeur à la gorge. La peur résonnée, qui surgit quelques fois à la porte du vestiaire, souvent quelques jours ou quelques semaines avant le rendez-vous du combat. Elle est presque toujours synonyme de tension avec les proches du boxeur, car celui-ci se renferme sur lui-même et prend souvent conscience de la réalité qu’il l’attend. La peur qui transcende le sportif, qui le rend plus fort, plus grand et qui lui permet d’aller plus haut une fois qu’elle est dominée. Enfin, la peur subite. La plus terrible !!!
Pour la première, la revanche entre l’Américain Hasim Rahman et le Britannique Sir Lennox Lewis est le parfait exemple. Rahman, pourtant champion du monde des poids lourds depuis son succès sur Lewis six mois plutôt, a perdu son combat, bien avant qu’il ne débute, simplement parce qu’il avait la trouille. Pétrifié par la peur qui se lisait dans ses yeux. Il avait un visage blême et livide dès la sortie de son vestiaire. Une fois sur le ring, il ne cherchait qu’une chose : éviter la confrontation avec son rival. Après quatre rounds passés à contenir Lennox, Hasim Rahman s’est affalé de tout son long dans la cinquième reprise, terrassé par un terrible crochet droit. Il mettra plus de deux ans à digérer cette soirée…
Illustrer la deuxième, c’est revenir au 30 novembre 1974. Meilleur exemple d’une peur dominée. Vous ne vous souvenez pas ? Ce soir-là pourtant, le monde a les yeux tournés vers Kinshasa, au Zaïre, pour assister à « The Rumble in the Jungle (la Bataille de la Jungle.) » Ali défie son compatriote George Foreman, champion du monde des lourds et favori à trois contre un, devant soixante-deux mille spectateurs, au stade du 20 Mai. En présence du président Mobutu et sous les cris d’un public qui hurle « Ah-lee booma yé », Ali, touché par la force divine, maîtrise ses sentiments et bat Foreman par K.-O. à la huitième reprise.
Enfin, pour la dernière, souvenez-vous des mots de Jean-Claude Bouttier,l’ex-champion d’Europe des poids moyens et double challengeur mondial de l’Argentin Carlos Monzon. L’ancien boxeur, devenu commentateur pour une chaîne française déclare à l’antenne : « Il a changé de couleur ! C’est la première que je vois un noir devenir blanc de peur » (…) Ce soir-là, le 27 juin 1988, l’Américain Mike Tyson, plus jeune champion de l’histoire des poids lourds (20 ans, 4 mois et 22 jours), défendait son titre unifié de la division contre son compatriote Michael Spinks, jusqu’alors invaincu en 31 combats et élu boxeur de l’année en 1985 par le mensuel « The Ring », la bible du noble art. D’avis général, Spinks était le seul susceptible d’inquiéter Iron Mike (l’Homme d’acier), mais il ne tiendra que 91 petites secondes !!! Blanc de peur lorsqu’il aperçoit Tyson en face de lui, Spinks « tutoie les étoiles » et arrête sa carrière sur un K.-O.
Olivier Monserrat - Robert